Dans le quartier de la Courrouze, connaissez-vous ce quai qui a été inauguré le dimanche 2 août 2015 ? Il s’agit d’un mémorial dédié aux prisonniers et déportés du convoi dit « Train de Langeais. »

Ce quai se situe en face de la Maison des compagnons du Devoir, rue Jules-Verne et à l’intersection de deux voies ferrées. Ce monument discret rappelle l’horreur des Nazis qui, en ce lieu, déportèrent plus d’un millier d’hommes et de femmes dans des wagons à bestiaux vers des camps de concentration. Ce monument a été aménagé sur le quai d’origine long de 130 m. Les différentes villes traversées par le convoi sont représentées par 29 plaques en bronze massif réparties le long de l’allée de granit.
Que s’est-il passé, il y a 77 ans ?
Le 1er août 1944
Les troupes alliés de Patton sont à la porte de Rennes et se heurtent à un fort barrage allemand. Les pertes humaines et matérielles sont importantes. Ne pouvant entrer dans la ville, ils la bombardent. C’est peut-être cela qui décide les Allemands à sélectionner les prisonniers arrêtés pour faits liés à la Résistance et détenus à la prison Jacques-Cartier et au camp Margueritte, et à les évacuer avant d’abandonner la ville et de fuir. Ces prisonniers sont conduits à pied vers la Courrouze.
Au milieu de la nuit du 1er au 2 août, une longue colonne de prisonnières est également conduite, à pied, cinq par cinq, jusqu’à la Courrouze où a été formée une rame de wagons à bestiaux et de quelques rares voitures à voyageurs… réservées au confort de l’occupant. Au milieu de la nuit noire, les prisonniers sont entassés à 40, 50, 60 et plus par wagon.
Le 2 août 1944
À six heures du matin, un premier train de prisonniers quitte Rennes dans la précipitation, en direction de Redon, ce qui va être la tête du dernier convoi de prisonniers et de déportés parti de Rennes à l’avant-veille et à la veille de sa libération.
Dans la nuit du 2 au 3 août, l’aviation anglaise bombarde les voies principales entre la gare et la Courrouze. De ce fait, les autres prisonniers sont conduits vers La Prévalaye et le 3 août, vers 4 heures du matin, une seconde rame quitte La Prévalaye en direction de Redon. Les deux convois sont réunis au Lion d’Angers.
Le 4 août, Rennes est libéré.
Le dernier train s’arrête à Langeais près de Tours le 6 août, vers 10 heures, d’où les prisonniers doivent continuer à pied, les voies ayant été détruites. Mais l’aviation anglaise mitraille le convoi. Certains réussissent à s’évader avec l’aide des habitants, d’autres sont tués par les avions anglais ou par les Allemands. Les survivants continueront à pied vers la gare de Tours, où le convoi sera reconstitué, pour ensuite rejoindre Belfort…
Il fait une chaleur accablante, torride. Les prisonniers n’ont ni à manger ni à boire, hormis quelques succincts ravitaillements fournis par la Croix-Rouge et la population. Ils étouffent dans cette atmosphère empuantie. Impossible de s’allonger sur le plancher des wagons. La tinette déborde et se renverse au gré des secousses…
Tout au long du trajet, des prisonniers, vraisemblablement entre 1500 et 2000, hommes et femmes sont ajoutés : des prisonniers militaires, politiques et des résistants, des soldats alliés (canadiens, américains, britanniques), des Allemands condamnés pour insoumission... De tous, ce convoi est vraisemblablement celui qui a connu le plus grand nombre d’évasions, probablement plus de 300 et aussi de tués, dont 23 en gare de Langeais lors de mitraillages par des avions américains.
Le parcours va durer une quinzaine de jours avant d’arriver à Belfort dans la matinée du 15 août. À leur arrivée à Belfort, les prisonniers, hommes comme femmes, sont enfermés au Fort-Hatry dans l’attente de leur envoi en déportation vers les camps de Ravensbrück ou Dachau. Là se produit un événement extraordinaire, la libération de 241 prisonniers dont 156 du train de Langeais qui échapperont aux camps de concentration grâce à Charles Schlagdenhaufen, alias « Charly »,
un prisonnier alsacien incorporé de force dans la Wehrmacht puis nommé adjoint au surveillant-chef de la prison de Nantes et interprète. Les autres sont déportés dans les bagnes nazis d’où beaucoup ne reviendront pas.
À Langeais un mémorial, avec un wagon du convoi, a été érigé près de la gare commémorant le bombardement tragique.
Un témoignage vibrant
Voici le témoignage de Jacqueline qui raconte le lien entre ses grands-parents et ce dernier train quittant Rennes alors que les alliés sont à la porte de la ville qui sera libérée dès le lendemain :
« Mes grands-parents, François et Aurélie, sont agriculteurs à La Noé Blanche. Le 26 juillet 1944, deux Allemands sont tués par des vrais (ou faux) résistants à proximité de la ferme. Le troisième, blessé, prévient les troupes allemandes basées à Messac. Les Allemands investissent la ferme, fouillent la ferme et les environs et finissent par découvrir les corps. Ils rassemblent toute la famille dans la cour, les parents et leurs sept enfants, dont ma maman l’aînée, âgée de 18 ans et ses six frères et sœurs dont le plus jeune avait 10 mois. Ils font prisonniers et emmènent les deux parents, laissant les enfants seuls à la ferme. Mes grands-parents sont conduits dans la soirée à la prison Jacques-Cartier.
Quelques jours plus tard, le 3 août, alors que les alliés sont à la porte de Rennes qui sera libérée le lendemain, ils sont chargés dans des wagons à bestiaux sur le quai de la Courrouze, 44 dans le même wagon disait ma grand-mère. Ils font partie du dernier train qui quitte Rennes le 3 août dit « train de Langeais. »
Tout au long du trajet des prisonniers sont ajoutés.
Arrivés à Langeais, près de Tours, le convoi, qui est bloqué suite à la destruction des voies, est mitraillé par l’aviation alliée. Ils survivront à ce bombardement de Langeais, dont certains réussiront à s’évader, d’autres seront tués par l’aviation anglaise ou par les Allemands. Le convoi repart à pied en direction de Tours pour être de nouveau chargé dans des wagons et arrive le 15 août à Belfort. Ils y resteront quatre mois, dans le camp de Fort-Hatry, puis de Giromany, vêtus de la tenue des déportés. Ils seront libérés de ce camp avant de partir très probablement pour l’Allemagne.
Ils rentreront chez eux en décembre. Mon grand-père et ma grand-mère ne pesaient plus que 30 kg à leur retour. Chaque année, lors des cérémonies du 11-Novembre dans leur commune, ils enfilaient tous les deux leurs tenues de déportés.
Lors de la première cérémonie au mémorial de La Courrouze, les six enfants, ma maman et mes cinq oncles et tantes, encore vivants, étaient présents.
Je me suis rendue l’été dernier à Langeais près de la gare où un wagon et un mémorial rappellent ce douloureux évènement. »
Marie-Françoise Couronné
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