Il y a des personnages qui ont milité, discrètement sans poing levé. C’est davantage par un regard bienveillant, une attention à l’autre, qu’ils ou elles ont marqué tranquillement un quartier, un lieu professionnel. Robert Chahurel, notre interviewé est de cette trempe.
Je l’ai rencontré un samedi de septembre. Il faisait beau, les fenêtres ouvertes de la cuisine donnaient sur son jardin ensoleillé et fleuri. Bien vite, j’ai su que Robert appartenait à ces hommes et femmes qui ont embelli le quartier par leur présence active. Je n’ose pas écrire sans faire de bruit. En effet, Robert, trop sensible pour mesurer la portée de certaines phrases, parfois haussait le ton puis aussitôt regrettait de les avoir prononcées et d’avoir blessé son interlocuteur. « Monsieur le Maire, vous n’êtes qu’un dictateur ! », c’est de lui comme l’autre phrase célèbre «Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ! » appartient à Mirabeau.
La création du conseil de quartier
Resituons sa phrase dans son contexte. Nous sommes au début des années 2000, dans la grande salle archicomble de la MJC de Cleunay, M. le Maire annonce la création des conseils de quartier, fraîchement institués par la loi. Ainsi la commission du cadre de vie du quartier de Cleunay ne sera plus l’interlocuteur privilégié de la municipalité ou de ses services. M. le Maire ajoute : « Place désormais au conseil de quartier présidé par un élu ! La commission du cadre de vie sera libre d’intégrer ou non cette structure et de participer à ses travaux au même titre que les autres associations ou le citoyen lambda. » La réaction de Robert fut, en fait, un cri de désespoir partagé par de nombreuses personnes présentes. Ainsi, la création du conseil de quartier mettra fin pour quelque temps et dans sa forme initiale, à l’expérience collective et démocratique de la commission du cadre de vie.
Un Cleunaysien de souche
Robert est un Cleunaysien de souche d’une grande humilité et à l’aube de ses 90 ans, son dévouement pour son quartier de Cleunay et d’ailleurs toute son action militante valaient bien quelques lignes dans notre journal. Robert est né en 1931 rue Claude-Bernard. Ses parents tenaient à cet endroit la petite ferme du Gravau. À l’âge de huit ans, Robert apprend à reconnaître le bruit des bottes allemandes. La guerre est déclarée, leur petite ferme de huit hectares, proche du champ de tir, est réquisitionnée par l’armée française. Robert se souvient de son enfance, des copains avec qui il pouvait garder les vaches dans les champs. Cleunay à cette époque n’était pas en ville mais à la campagne, une campagne fleurie de petites fermes au nom évocateur : les fermes des Ormeaux (bd de Cleunay), à la Prévalaye, les fermes du Pré-Namet, de la Taupinais, de la Saudrais, de la Mare. À côté des petites fermes agricoles, des structures maraîchères agrémentaient autrement le paysage bocager de Cleunay. Fertiliser les sols pour produire carottes et navets demandait un travail continu et exigeant. La fatigue se montrait sous les regards des travailleurs de la terre qu’ils soient cultivateurs ou maraîchers. Des familles de maraîchers telles que les Gambon, Neveu, Lazare ou Gaudin ont marqué de leur empreinte éphémère le sol sur lequel nous habitons aujourd’hui.
Le dur travail des champs, puis de chauffeur
Comme la plupart des enfants de son âge, Robert travaille très tôt. C’est le dur travail des champs pour aider ses parents qui ont repris une ferme boulevard de Vitré. Jeune adulte, le voilà embauché dans le bâtiment en qualité de chauffeur manutentionnaire. Parmi ses collègues, il côtoie des ouvriers italiens, premiers immigrés rencontrés. Le travail est harassant. Sans outil de levage, les sacs de 50 kg à porter manuellement usent le corps prématurément. Mais les salaires sont élevés. La guerre a beaucoup détruit de constructions notamment sur le quartier, le château de la Prévalaye. Alors, il faut construire et reconstruire. Compte tenu des longs horaires de travail
(50 à 60 heures par semaine), sa mère le fait entrer à la SNCF en 1957. Puis c’est la rencontre de Thérèse, deux enfants : Jean-Yves et Nadine naîtront de leur union.
Le sens aigu du collectif
À la SNCF, de solides relations se nouent grâce à son tempérament plutôt jovial, son dévouement auprès des autres et sa conscience professionnelle. Son sens du collectif, sa bonté innée le conduisent à prendre des responsabilités syndicales et mutualistes. Il travaille à la sécurité des trains comme aiguilleur : mission qu’il effectue selon les horaires des 3x8. « Nous devions attacher les wagons rapidement, parfois les caler et toujours les aiguiller dans la bonne direction. C’était un travail difficile et dangereux notamment au début de ma carrière. » En période estivale, sa mission s’effectue, lors des premières années de travail, en région parisienne en logeant dans des demeures de fortune, formées de planches et de taules. Robert fut très préoccupé par l’alcoolisation sur les lieux de travail. « Ce n’était pas un phénomène marginal loin de là. Le plus faible allait chercher les bouteilles d’alcool sur le temps de travail et malheur à celui qui refusait de boire ! »
L’employeur et la médecine du travail ont, selon Robert, pris conscience trop tardivement de l’ampleur de ce fléau et de ses conséquences néfastes tant pour le dépendant alcoolique que pour l’entreprise elle-même.
Son engagement multiple dans le quartier
Sur le quartier, dès les années 1990, Robert a aimé donner de son temps à travers deux animations : le marché aux fleurs et la commission du cadre de vie, et une mission : la diffusion du journal Le Pont 9. Concernant la préparation des premiers marchés aux fleurs, il souligna à diverses reprises leur réussite grâce à l’investissement d’une petite équipe volontaire et joyeuse. Elle programme dans la bonne humeur chaque étape de cet événement : préparation puis vente un samedi de mai des graines et fleurs. « Il y avait nos fleuristes et jardiniers amateurs : Lucien et Marie Marin qui stockaient les produits (plantes et graines) en leur domicile. Certaines étaient achetées, d’autres cultivées par des bénévoles. Je citerai aussi Michel Gauguin et Bernard Cloteaux, toujours très actifs. Chacun, chacune apportait son énergie pour la mise en place de ce projet si bien qu’il devint vite comme la braderie un élément incontournable. »
Puis Robert remercie chaleureusement Raymond Manceau d’avoir eu l’audace de créer dans les années 1990, cette commission du cadre de vie, élément essentiel de structuration du quartier. Pour lui, elle fut non seulement un vecteur du lien social sur le quartier mais aussi force de proposition et d’action pour le rendre plus agréable. Robert vivait chaque participation aux réunions comme un temps fort de rencontres, d’échanges et de convivialité où les différences d’analyses étaient gommées pour construire un projet commun. « En son sein, les idées jaillissaient. Mal comprise par les élus, elle fut, cependant, un élément fort de dynamique associative puisqu’elle traitait de toutes les questions relatives à l’aménagement et à la valorisation du quartier de Cleunay. »
Porteurs de beaucoup de variété de fruits, ses divers engagements ont illuminé sa vie. Avant de me quitter Robert tient à mentionner les noms d’amis et de camarades qu’il a appréciés au sein du comité de quartier : Raymond Manceau, René Candio, Victor Carnet, Bernard Buffeteau, Michel Duval, Martine Hamon, Lucienne Gabillard, Denise Rouxel, Albert Loizel (ancien président du comité de quartier, Michel Duval lui succèdera) et Marie Morel qui notait tout sur son petit carnet. Sa fonction de diffuseur du journal Le Pont 9 vient de s’achever. Atteint par la limite d’âge (90 ans), Robert vient de transmettre le flambeau à Annie Morin.
C’est le moment de la photo. Bien sûr, Robert veut bien être photographié mais avec Thérèse. Son épouse acquiesce d’un regard malicieux. Bravo les Chahurel !
Daniel Vannier
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